dimanche 14 mai 2017

Septembre 44, une lettre venue d'Allemagne...

C'est le début de l'automne dans le petit lieu-dit de Felouzes à La Celle-Condé, tout prêt de Lignières en Berry et de Chateauneuf sur Cher.
L'oncle Alexandre, alors âgé de 57 ans, et sa femme Marie-Louise reçoivent une lettre provenant d'Allemagne...
Pourquoi d'Allemagne?

Alexandre et Marie-Louise ont un seul enfant, un fils, Jean-André, né à La Celle-Condé le 20 septembre 1912.
Même si la famille Bonnin était une grande fratrie, 7 enfants, seuls Marguerite, mon arrière grand-mère, alias Guiguite, et son frère Alexandre, ont eu des enfants.
Ainsi, ma grand-mère, Anne-Marie, n'avait que ce cousin du côté de sa mère.
Je ne sais pas grand chose de Jean André : son métier? Sa vie?...
Peut-être cet article sera l'occasion d'en savoir plus...

Jean a participé à la 2ème guerre mondiale et fut envoyé en camp de travail.
Était-ce le STO (service travail obligatoire) ou fut-il prisonnier ? Je les découvrirai un peu plus tard.

Ce jeune homme eut l'occasion d'envoyer une photo carte postale de son camp de travail à mes arrières grands-parents qui était alors Chaussée de Chappe à Bourges:
Il est à droite sur la photo et se trouve sûrement avec un autre "prisonnier".
Y est inscrit au verso de cette carte:
"Bonnin Jean 37.290 Stalag VI A "
Le stalag disposait même d'un tampon.
Si on fait rapidement une recherche sur Internet , on y apprend que :
"Le Stalag VI/A est un camp de prisonniers allemand, dit « Stalag » (pour Stammlager) de la Seconde Guerre mondiale. Il était situé à Hemer, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie".

Jean était donc bien prisonnier.
Il y avait peu de français a priori dans ce camp et les conditions de vie étaient atroces avec énormément de maladies.

Le document ici-bas est arrivé jusqu'à moi et est une preuve précieuse de cette époque, qui fait froid dans le dos: un passeport allemand pour prisonnier avec le symbole que nous connaissons tous pour de tristes raisons.

Cette dernière photo est flagrante : elle montre bien l'état de santé de Jean, complètement amaigri et semblant malade.
Et pour cause!
Jean était détenu à Hattingen dans la région industrielle de La Ruhr.
Le 17 septembre 1944, est écrite une lettre d'un codétenu de Jean, Jean Weiss, "homme de confiance du camp":


"Monsieur,
J'ai le triste devoir de vous entretenir de votre fils, notre camarade Bonnin Jean, décédé le 17.9.1944 à l'hôpital de Hattingen où il était en traitement depuis le 28.6.1944.
Avant son hospitalisation il avait été à plusieurs reprises consulter le docteur Rushe (de Hattingen) médecin de l'usine (Gemeinshaftswerk) où Jean travaillait, et celui-ci lui accordait chaque fois 2 ou 3 jours de repos.
Au mois d'avril de cette année atteint de la grippe il reste environ un mois sans travailler dont une dizaine de jours au lit.
Au cours de cet arrêt, le médecin de la caisse de maladie ordonne une radiographie et une prise de sang et à la suite de ces deux résultats lui fait reprendre le travail.
Quelques jours après, se plaignant du côté gauche, il retourne au docteur, à la suite de cette consultation, le médecin lui dit de revenir le voir si ça n'allait pas; 3 ou 4 jours plus tard ayant mal à l'oreille gauche le docteur l'envoie au spécialiste. Celui-ci le soigne, lui dit que ce n'était rien, que cela provenait de sa grippe.
Il reprend son travail à nouveau, mais continuant à se plaindre du côté le médecin le fait entrer à l'hôpital de Hattingen le 28.6.1944.
Au début de son admission son état reste stationnaire; il avait encore de l'appétit et un jeune médecin français le visite et me dit que la maladie serait longue.
Puis d'un seul coup son état s'aggrave, il ne mange plus, sa respiration qui devient extrêmement penible le fatigue terriblement, deux ponctions lui sont faites, cela le soulage un peu, la respiration tout en restant très difficile s'améliore, mais dès ce moment, à part quelques fruits et compotes il ne mange plus, son état empire chaque jour et m'inquiète un peu plus à chacune de mes visites."

"Je fais une démarche auprès de la délégation française de Bochum (Wiemelhauser Strasse 38-42) qui s'occupe des travailleurs français en Allemagne pour le faire réformer afin qu'il rentre en France. Étant prisonnier transformé les formalités sont plus compliquées que pour un prisonnier ou un civil car il faut que les deux administrations (civiles et militaires) soient d'accord. Les démarches étaient en cours, le résultat devait être donné apres demain mardi 19, mais la mort l'a pris plus tôt.
Aujourd'hui avec mes camarades Robin Jacques (interprète) demeurant à Colombes 6 avenue Jean Jaurès et Bruneau Lucien (vice-président de l'amicale) menuisier à Paulnay (Indre) nous sommes allés à l'hôpital, la sœur et les infirmières qui le soignaient ont déclaré que votre fils est décédé des suites de la tuberculose intestinale ; nous avons retiré ses affaires et les avons jointes à celles qu'il avait ici.
Ses affaires seront envoyées à la :
"Franzosisches Zentralauslieferungslager
Grüner Jäger 264
Über Lüneburg"
Ost honnover
Qui est chargée , vu les évènements de centraliser les effets des P.G.T. et civils décédés.
Parmi l'inventaire de ses affaires se trouvaient des pâtes alimentaires et 8 paquets de cigarettes, en rapport avec les circonstances nous avons décidé d'en faire bénéficier les camarades du camp. Les pâtes sont versées à l'ordinaire, quant aux cigarettes elles ont été tirées au sort, le produit du tirage a été de 320,00 mark qui joint à une somme de 200,00 mark, collectée à son attention plus 148,50 mark, trouvés sur lui, plus 42,00 mark de la caisse de maladie( pour son séjour à l'hôpital) fait un total de 710,50 Mark qui seront confiés à la Délégation Française de Bochum pour vous être adressée.
Les circonstances actuelles nous obligent à faire toutes ces choses rapidement.
Jean est regretté sincèrement par tous ses camarades car il était dévoué pour la collectivité.
Mon camarade Bruneau vous remettra dès qu'il rentrera en France: sa montre bracelet, son stylo, deux portefeuilles, un canif , son porte-monnaie qui contenait 104 francs 55 d'argent français. Je compte moi-même si tout va bien vous rendre visite à mon retour en France.
Les obsèques auront lieu le mercredi 20 à 15H. 
Dès que j'aurai de nouveaux détails je les ajouterai à ceux-ci.
Je termine pour aujourd'hui en vous adressant Cher Monsieur les sincères condoléances de tous ses camarades et les miennes.
Weiss Jean, homme de confiance."

Jean avait 32 ans.
Il était nécessaire de lui rendre hommage avec cet article.

Bénéficie t'il toujours d'une sépulture en Allemagne ou a t'il été ramené en France...?
D'après un rapport de l'armée américaine, les conditions de vie dans le camp étaient atroces. L'hôpital abritait 9 000 patients, souffrant du typhus, de pneumonie, de fièvre pourprée, de tuberculose et de dysenterie. Il y avait une moyenne de 100 à 150 décès par jour et des corps gisaient sans sépulture. Les prisonniers étaient en haillons, le corps couvert de poux. Les installations sanitaires étaient à la fois sales et très insuffisantes. La situation alimentaire était cependant ce qu'il y avait de pire. Aucune nourriture n'avait été fournie au cours des quatre jours précédant l'arrivée des Américains. Auparavant, les prisonniers avaient vécu de soupe d'orge (un bol par jour pour les Russes, deux bols par les autres nationalités) et une miche de pain pour dix hommes. Les Russes étaient tous atteints de malnutrition. Les Américains, dont la plupart avaient été capturés peu de temps auparavant, étaient en relativement bon état.



1 commentaire:

  1. Merci pour cet article détaillé et très émouvant où l'on en apprend un peu plus sur les conditions de vie des prisonniers de guerre et la solidarité qui régnait entre eux.
    Mon grand-père a été prisonnier de guerre dans le Stalag VI-A également, d'août 1940 à novembre 1941. J'avais notamment décrit dans mon article http://scribavita.fr/blog/prisonnier.guerre.1940.1941 les conditions de vie dans ce stalag. Je n'ai pas bien compris à quelle période Jean y avait été (plutôt vers 1944 ?). Même si cela aurait pu être à la même période, il serait toutefois étonnant qu'ils se soient connus, au milieu des près de 25000 Français qui y étaient alors...

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