Les archives judiciaires se trouvent être de formidables sources de compréhension de la vie de nos ancêtres. Elles permettent d'appréhender leur vie quotidienne, aspect qui ne transparaît pas forcément dans les registres paroissiaux.
Qu'est devenu un enfant en bas âge après la mort de ses parents?
Comment subsiste-t-il?
Le mariage, moyen de subsistance?
C'est avec un cas pratique concernant une de mes ancêtres, Julienne DEVOT, que je vais donner un petit aperçu de l'intérêt des archives judiciaires, et notamment du conseil de famille.
C'est lors de la recherche, aux Archives Départementales du Cher, de son contrat de mariage avec son premier époux, que j'ai découvert un extrait du dernier conseil de famille.
Même si, comme l'indique Véronique Tison, "au XIXè siècle, l'intérêt du document permet surtout de renseigner sur les relations au sein de la famille", il permet également de connaître le patrimoine du mineur protégé, et des raisons de la tenue du conseil de famille.
Présentation familiale
Julienne Silvine DEVOT fait partie de mes ancêtres maternels.
Elle est née le lundi 17 avril 1843 à Nançay, belle petite commune solognote du département du Cher, dans le lieu-dit de Cissin.
Elle est la fille de Pierre DEVOT, manoeuvre de profession, originaire également de Nançay, et de Silvine RIVIERE, originaire de Selles-Saint-Denis (Loir et Cher).
A l'âge de 18 mois, Julienne devient orpheline de mère ; sa mère Silvine décédant à l'âge de 34 ans.
Son père, Pierre, décède à son tour à l'âge de 42 ans.
Ainsi, Julienne se retrouve orpheline à l'âge de 6 ans, avec son grand-frère Pierre, lui âgé de 11 ans.
Après le décès des parents, se tenait normalement un conseil de famille pour attribuer un tuteur à l'enfant. Celui-ci était désigné dans son entourage.
Jusqu'à son mariage, je n'ai pas d'informations sur la vie de Julienne.
Les premiers conseils de famille doivent être une mine d'informations : documents à rechercher lors d'une prochaine visite aux archives départementales du Cher!
Le contrat de mariage de Julienne DEVOT
avec Pierre CHEVALIER (dénommé aussi Antoine CHEVALLIER)
17
mai 1863
Par
devant Me Etienne POIRIER et son collègue, notaires à Vierzon,
soussignés,
Ont
comparu,
Le
sieur Antoine Chevallier, journalier, demeurant au bourg de Neuvy sur
Barangeon, fils majeur de Pierre Antoine Chevallier et de Marie
Ridée; Stipulant pour lui et en son nom personnel,
d'une
part,
Juliette
Sylvine DEVAUX, domestique au grand chavanon chez le sieur Milet,
fille mineure de Pierre Devaux et de Sylvine Rivière, l'un et
l'autre décédés, stipulant aussi pour elle et en son nom personnel
sous l'assistance et autorisation de sieur Gimault, son tuteur ad hoc
ci-après intervenant,
d'autre
part,
et
le sieur Thomas Gimault, journalier, demeurant aux Landes, commune de
Nançay, canton de Vierzon,
stipulant
au nom et comme tuteur ad hoc de la dite mineure devaux, et ayant
mandat spécial du conseil de famille de la dite mineure à l'effet
des présentes, suivant procès verbal de Mr le premier suppléant de
Mr le juge de paix du canton de Vierzon en date du seize mai, mois
courant, enregistré;
Etant
observé qu'aux termes de ce procès verbal, le conseil de famille de
la dite mineure Devaux a approuvé les conditions ci-après exprimées
du présent contrat, qui ont été proposées audit conseil par le
sieur Gimault susnommé, et qui sont spécialement indiquées en
termes formels au susdit procès-verbal, dont (…) ci annexée,
encore
d'autre part,
Lesquels,
dans la vue du mariage projeté entre les dits Chevallier et Juliette
Sylvine Devaux, susnommés, en ont arrêté les clauses et conditions
civiles, ainsi qu'il suit:
art.
1Er Il y aura entre les futurs époux communauté de biens
meubles et conquêts
immeubles conformément aux dispositions du code civil, sauf les
exceptions et modifications si-après,
art
2 Les futurs époux seront séparés de dettes présentes et à
venir;
art
3 Le futur se constitue personnellement en dot la somme de six
cents francs provenant de ses gains et économies;
plus
ses droits dans la succession de feu son père, lesquels ne sont pas
encore liquidés,
art
3 bis: la future épouse se constitue aussi personnellement en
dot, tous ses droits dans les successions des son père et dont le
sieur Gimault, susnommé, son tuteur lui est comptable. Elle déclare
que ses droits peuvent s'élever à mille francs environ.
Desquels
apports les futurs se sont donnés réciproquement connaissance.
Art
4 Les futurs ne font aucune mise en communauté et se réservent,
respectivement propres tout ce qui leur appartient actuellement,
ensemble tout ce qui viendra à leur échoir à titre gratuit pendant
la communauté
art
5 Le survivant des futurs époux prendra avant tout partage de la
communauté les habits, linge et hordes à son usage personnel et un
lit complet et (…)
art
6 suivant la dissolution de la communauté la future épouse ou
ses héritiers pourront (…) reprendre tout ce qu'elle aura apporté
au mariage, ensemble tout ce qui lui sera échu à titre gratuit,
pendant la communauté, même le préciput ci-dessus stipulé si
c'est elle qui (survit, le tout franc et quitte des dettes et charges
de la communauté.
Telles
sont les conventions des parties
Fait
et passé à Vierzon, étude, l'an dix huit cent soixante trois le
vingt sept mai
avant
de clore & conformément à la loi, Me Poirier, l'un des notaires
soussignés, a donné lecture aux parties des art. 1391 et 1394 du
code civil & leur a délivré le certificat p... pour être remis
à l'officier de l'état civil avant la célébration du mariage.
La
lecture faite, les notaires ont signé, (…) aux parties, elles ont
déclaré ne le savoir, ce ce requises.
Burdel
Poirier
Le contrat de mariage m'apprend plusieurs choses:
1) Il me permet de savoir que Julienne était domestique (comme souvent à l'époque) avant le mariage et de connaître le nom de son patron.
2) J'apprends l'existence d'un conseil de famille (extraits ci-après) et le nom de son tuteur,
3) Il indique le patrimoine des époux et cela permet de voir que l'épouse semble mieux "lotie" que l'époux à la seule vue du contrat de mariage.
Le contenu et la décision du conseil de famille
Subrogé
tutelle et autorisation à mariage à la mineure Sylvine devaux
Extrait des
minutes du greffe de la justice de paix du canton de Vierzon (Cher)
L'an mil
huit cent soixante trois, le seize mai, devant nous
Etienne Poirier premier suppléant de la justice de paix du canton de
Vierzon était assisté d'Emile (…) Chicaud notre greffier et
faisant pour M. le juge de paix empêché
a comparu
Thomas
Gimault journalier demeurant à Nançay
agissant au
nom et comme tuteur datif de Juliette Sylvine Devaux âgée de vingt
ans née du légitime mariage d'entre Pierre Devaux et de Sylvine
Rivière tous les deux décédés à Nançay fonction à laquelle il
a été nommé suivant délibération du conseil de famille de la
dite mineure tenue et présidée par monsieur le juge de paix du
canton de Vierzon en date du courant de mars mil huit cent quarante
huit.
Lequel nous
a exposé que Joseph Valot subrogé tuteur de la dite mineure Devaux
est décédé dans le courant de l'année mil huit cent soixante un, que cette
dernière se trouve aujourd'hui sans subrogé tuteur et qu'il y a
lieu de lui en nommer un nouveau ; qu'il se présente pour sa pupille
un établissement avantageux en la personne d'Antoine Chevallier
journalier et propriétaire demeurant à Neuvy sur Barangeon, que la
dot de sa pupille s'élève à mille francs montant des successions
de ses père et mère que la dot du futur époux consiste:
1° dans les
droits indivis de la moitié d'une maison sise à Neuvy sur Barangeon
et d'environ seize ares de jardin aussi situé à Neuvy sur Barangeon
2° et dans
la somme de six cents francs lui provenant de ses économies,
que le
mariage est proposé sous le régime de la communauté de biens régie
par le Code Napoléon réduite aux acquêts.
Que le
survivant des époux prendra avant tout partage de la communauté les
habits linge et hardes1
à son usage personnel et un lit complet et garni;
que la
future ou ses héritiers pourront en renonçant à la communauté
reprendre tout ce qu'elle aura apporté au mariage ensemble tout ce
qui lui sera échu à titre gratuit pendant la communauté même le
préciput ci dessus stipulé si c'est elle qui survit, le tout franc
et quitte des dettes de la communauté.
Pourquoi le
comparant a réuni le conseil de famille de sa pupille lequel conseil
il requiert de nommer un nouveau subrogé tuteur à la dite mineure
et de donner son consentement au mariage proposé.
Et a le
comparant déclaré ne savoir écrire ni signer de ce requis après
lecture et s'est retiré,
sont ensuite
comparus:
1èrement
pour composer la ligne paternelle:
1° Jean
Martin Pavois cultivateur demeurant à la petite grêlerie commune de
Vouzeron cousin issu de germain à la mineure à cause de Anne
Gimault sa femme,
2° François
Coladan cultivateur demeurant à la grande grêlerie commune de
Vouzeron
3° Pierre
Beaudon journalier demeurant à Sange commune de Nançay tous les
deux amis dans cette ligne à défaut de parents dans la distance
voulue par la loi
2èmement
pour composer la ligne maternelle:
1° jean
baptiste Valot journalier demeurant à nançay, cousin issu de
germain de la mineure
2° Jean
Labbé propriétaire demeurant au petit Sange commune de Nançay
cousin de la mineure
3° Joseph
Vaslin journalier demeurant à la Bretonnière commune de Theillay
(Loir et Cher) ami de la mineure à défaut de parents dans cette
ligne
Le conseil
de famille ainsi réuni sous notre présidence après en avoir
délibéré conjointement avec nous a déclaré à l'unanimité qu'il
nomme pour subrogé-tuteur à la mineure Juliette Sylvine Devaux la
personne de jean Labé son cousin dans la ligne maternelle lequel a
déclaré accepter cette fonction et a déclaré la remplir avec
exactitude.
Le conseil
de famille délibérant de nouveau en ce qui touche le mariage
proposé considère que Antoine Chevallier est un parti avantageux
pour la mineure Devaux après avoir mûrement réfléchi
conjointement avec nous sur les conditions de ce mariage futur,
le dit
conseil a arrêté que les propositions annoncées par Thomas Gimault
tuteur de la mineure Devaux et son cousin issu de germain du côté
paternel sont et demeurent approuvées et qu'en conséquence il
consent au mariage de cette dernière avec le dit sieur Chevallier
Antoine,
le dit
tuteur à passer le contrat de mariage et a y consentir pour le
conseil de famille, lui donnant tous pouvoirs à cet égard de même
qu'à représenter la mineure devant l'autorité civile et
religieuse, à l'effet de quoi il sera délivré expédition des
présentes,
Fait en
conseil de famille en notre domicile sis à Vierzon les jour, mois et
an que dessus
Et après
lecture faite les délibérants ont déclaré ne savoir écrire ni
signer de ce requis à l'exception du sieur Labé qui a signé avec
nous et notre greffier.
Enregistré
à Vierzon le dix neuf mai mil huit cent soixante trois.
1Hardes
: vêtements usagés et misérables (Larousse).
2 Tuteur datif: choisit par le conseil de famille
Ce document m'a permis tout d'abord de découvrir les archives de la justice de paix, et le mécanisme du conseil de famille.
La fonction de tuteur n'était pas réellement choisie et constituait une charge pour nos ancêtres, voire un fardeau (cf. article très intéressant "Histoire et Généalogie" en 2001 sur ce sujet).
Ensuite, je me suis pris au jeu de reconstituer le cercle familiale en fonction des personnes et liens évoqués.
Cela m'a permis de reconstituer des branches familiales.
Il est intéressant de voir que les oncles et tantes proches ne sont pas ceux qui sont devenus tuteurs ; peut-être avaient-ils déjà trop de bouches à nourrir...?
- Thomas Gimault, est en fait Thomas Jumeau! problème de transcription...?!
Il est un cousin issu de germains de l'épouse, du côté paternel.
Il était le déclarant du décès de Silvine Rivière, mère de Julienne.
Il est né le 6/11/1818 à Nançay, fils de Pierre Jumeau et Madeleine Richard ; Pierre Jumeau, lui-même fils de Louis Jumeau et Jeanne Pinceste : arrière grand-parents de Julienne.
- Joseph VALOT, ancien tuteur, était le cousin de la mère à Julienne, Silvine RIVIERE.
Il était né le 20/01/1820 à Nançay et fils de Silvain Valot et d'Agathe Rivière.
Agathe Rivière, elle-même fille de Jean Rivière et Gabrielle Rafinat, arrière grand-parents maternels de Julienne DEVOT.
Pierre DEVOT était d'ailleurs son témoin de mariage.
- Jean-Martin PIVOIS est l'époux de Marguerite JUMEAU, soeur du tuteur, Thomas JUMEAU (Gimault), et donc cousin par alliance.
- Jean-Baptiste VALOT, est le frère de l'ancien tuteur, et donc cousin du côté maternel.
- Jean LABBE, est cousin de l'épouse, à cause de son épouse Madeleine SALINIER, qu'il a épousé à Selles-Saint-Denis en 1817.
Madeleine Salinier est la fille de François SALINIER et Madeleine DAVIS, elle-même fille de Jacques DAVIS et Magdeleine PINAULT, arrières arrières grand-parents de Julienne.
Un mariage arrangé...?
Julienne a-t-elle rencontré Pierre Chevalier (dit Antoine) d'elle-même ou lui a-t-ton présenté?
Je pense qu'au vu de la lecture de l'extrait du dernier conseil de famille, l'un et l'autre avaient tout intérêt à se rencontrer, patrimonialement parlant!
Julienne était propriétaire de la moitié d'une maison et Pierre, en attente de succession.
C'était surtout une occasion rêvé pour Julienne de s'extirper des décisions du conseil de famille, même si l'épouse ne pouvait disposer personnellement de son patrimoine.
Retrouver les anciens conseils de famille me permettrait d'en connaître un peu plus sur la vie de Julienne et peut-être aussi sur la mort de ses parents.
Tout ceci m'encourage à explorer davantage les archives judiciaires dans le futur.
Sources:
- Archives départementales du Cher
- Registres18nord: site de dépouillement de l'état civil du nord du Cher
- Benevolat AD 41 Dépouillement de tables et actes d'état-civil ou de registres paroissiaux
- Archives départementales en ligne du Loir et Cher : Culture41
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